Niks

Au cours de l'hiver 2002-2003, Luc Tuymans exposa à la galerie anversoise Zeno X, sous le titre 'Niks', une dizaine d'œuvres nouvelles. Le tableau qui donnait son nom à l'exposition représente un géranium en fleurs dans un pot, peint dans un brouillard obscur de gris, de verts et de rouges ternes. En Flandre, les géraniums sont très populaires: dans les villes et les villages, ils ornent toutes les fenêtres des beaux quartiers. Le titre ironique 'Niks' (Rien) exprime un certain mépris, voire de la répugnance. Car tels sont les sentiments de l'artiste à l'égard de cette plante petite-bourgeoise, qu'il taxe lui-même de «superlativement flamande». 'Niks' indique cependant aussi que le sujet est sans importance, le tableau étant une simple tentative de restituer avec de la peinture, sur une surface plane, un élément volontairement banal de la vie quotidienne. Mais il existe un autre niveau de compréhension, Tuymans sachant mieux que personne qu'en isolant ce «rien» dans une œuvre d'art pour le placer ensuite dans un nouveau contexte, !'artiste en fait un «quelque chose» apte à susciter des significations multiples.

En 2003, Tuymans réalisa, en collaboration avec le maître-imprimeur Roger Vandaele, la sérigraphie 'Niks', sur une feuille d'un format légèrement inférieur à la toile d'origine. La conversion de la peinture à l'huile en œuvre sur papier s'accompagna d'une analyse chromatique approfondie, qui aboutit à une tonalité légèrement différente. Au lieu de la palette voilée du tableau, Tuymans et Vandaele introduisirent dans l'estampe un arrière-plan plus foncé et des rouges et des verts plus vifs, avec pour conséquence un renforcement dramatique des contrastes. Leffet de lumière se modifia dans la foulée: la plante de l'estampe paraît inondée de soleil. Curieusement, la version graphique de Vandaele en devient plus «picturale» que le tableau lui-même. Le géranium, que cette présentation sous l'aspect d'un banal produit de série, symbole de mesquinerie sociale, a privé de toute signification, se rattache désormais, dans la peinture des Pays-Bas, à la longue et importante tradition des natures mortes lourdes de sens.